En France, plus de 8 entreprises sur 10 sont optimistes concernant les exportations : le calme après la tempête ?

14/05/2024
De la pandémie de Covid-19 à l'invasion de l'Ukraine en passant par le regain de tensions au Moyen-Orient, les crises se succèdent et créent un environnement difficile et incertain pour les exportateurs. L'année 2024 pourrait-elle apporter un peu de lumière au bout du tunnel pour les entreprises ? Pour le savoir, Allianz Trade a interrogé un peu plus de 3 000 exportateurs de France, de Chine, d'Allemagne, d'Italie, de Pologne, d'Espagne, du Royaume-Uni et des États-Unis dans le cadre de la troisième édition de son Global Survey.

En France, l’optimisme est de mise mais les risques pèsent sur la stratégie des exportateurs

L’optimisme des entreprises françaises augmente encore en 2024 : alors que 76 % des répondants s’attendaient à une augmentation de leur chiffre d’affaires à l’export lors de la dernière édition de notre enquête en 2023 - bien que les exportations françaises n’aient que très modestement cru de +1,5% en 2023 - nos exportateurs restent résolument optimistes et conquérants puisqu’ils sont cette année 84 % à envisager une hausse de leurs revenus à l’export. C’est d’ailleurs plus que la moyenne globale à 82 %. Pour soutenir les exportations, ils sont 22 % à envisager le développement de nouveaux produits, tandis que 17 % déclarent vouloir investir dans les pays dans lesquels ils sont déjà présents, le même pourcentage de répondants indiquant vouloir investir en France. Vient ensuite la volonté de se diversifier et de cibler de nouveaux marchés (16 %).

Les différentes tensions géopolitiques affectent les entreprises françaises dans leurs ambitions d’exportations. Face aux différents conflits (conflit Russie-Ukraine pour 34% des répondants, tensions au Moyen Orient -34% - et tensions US-Chine notamment -29% -) c’est la moitié des répondants français qui envisagent une potentielle relocalisation.

« Nous constatons un certain optimisme des exportateurs français en ligne avec ceux des autres marchés sondés. Près d’un tiers voient les risques logistiques comme étant la principale entrave à leur succès à l’export. En ce qui concerne les risques géopolitiques, ils sont davantage préoccupés par l’instabilité au Moyen-Orient et le conflit en Ukraine – qui couvrent deux tiers des réponses - qu’ils ne le sont par les élections européennes ou américaines. Enfin, nous notons que les entreprises françaises sont très optimistes quant au potentiel de l’intelligence artificielle (IA). En effet, les répondants français sont 58 % à placer l’IA et ses usages en tête des activités digitales qui contribuent le plus à leur développement international. Ils sont d’ailleurs les plus optimistes du panel (65 %) sur l’impact significatif de l’IA sur la productivité de leur entreprise » indique Ano Kuhanathan, Responsable de la recherche sectorielle chez Allianz Trade.

Un optimisme global déjà vu : les entreprises sous-estiment-elles une fois de plus les risques à venir ?

Dans l'édition 2023 de notre Global Survey, 70 % des entreprises ont déclaré s'attendre à une augmentation de leur chiffre d'affaires à l’export. Mais l'année s'est terminée par une récession commerciale, la demande ayant ralenti plus que prévu. L'année 2024 devrait marquer la fin de la récession, mais les entreprises sont-elles à nouveau trop optimistes ? Dans la dernière édition de notre enquête, 82 % des entreprises ont déclaré qu'elles s'attendaient à ce que le chiffre d'affaires à l’export augmente en 2024, en particulier dans les secteurs liés à la consommation tels que le commerce de détail, l'équipement ménager, l'informatique et les télécommunications. En fait, près de 40 % des entreprises s'attendent à une augmentation significative de plus de +5 % en 2024 (+18 pps vs 2023).

« Après plus d'un an de récession commerciale, les exportateurs s'attendent désormais à un rebond au second semestre 2024 car le restockage des produits manufacturés gagne du terrain et la demande mondiale devrait rebondir. Cela stimulera également les prix et alimentera la reflation. Globalement, 8 entreprises sur 10 prévoient une hausse des prix à l'export en 2024, ce qui soutiendra leur chiffre d'affaires à l'export. Nos prévisions sont plus prudentes : nous prévoyons une hausse du commerce mondial de +2,8 % en 2024, après une contraction de -2,9 % en 2023. Ce chiffre est nettement inférieur à la moyenne à long terme de +5 %, ce qui reflète le risque de perturbations dans le transport maritime mondial, comme la crise de la mer Rouge, ainsi que la montée du protectionnisme », explique Françoise Huang, Économiste senior pour l'Asie et le commerce mondial chez Allianz Trade.

Le risque de non-paiement est toujours présent à l'esprit des exportateurs

Bien qu'optimistes, les exportateurs restent conscients des risques qui pèsent sur leur développement international. Globalement, les entreprises sont principalement préoccupées par les risques géopolitiques, les pénuries d'intrants/de main-d'œuvre et les questions de financement. Mais le risque de non-paiement reste en tête des préoccupations.

« Nous avons constaté qu'au niveau mondial, près de 70 % des entreprises sont payées entre 30 et 70 jours ; les entreprises britanniques, françaises et américaines semblent d’ailleurs les plus affectées. Dans un contexte de ralentissement de la croissance, de perturbations commerciales et d'incertitude géopolitique, 42 % des entreprises s'attendent désormais à ce que la durée des délais de paiement à l'export augmente au cours des six à douze prochains mois. L'allongement des délais de paiement se traduit par une pression accrue sur la trésorerie, et la situation pourrait même s'aggraver. En parallèle, 40 % des entreprises interrogées s'attendent à ce que le risque de non-paiement augmente en 2024. Cela correspond à notre prévision d'une recrudescence des défaillances d'entreprises de +9 % cette année », ajoute Aylin Somersan Coqui, CEO d'Allianz Trade.

53 % des entreprises envisagent de délocaliser leurs chaînes d'approvisionnement en raison des préoccupations géopolitiques croissantes... mais passeront elles de la parole aux actes ?

Interrogées sur les trois principaux risques qui menacent le plus leurs sites de production et leurs chaînes d'approvisionnement à l’étranger, les entreprises choisissent le plus souvent des problématiques liées à la structure des chaînes d'approvisionnement, telles que la complexité, la concentration ou la concurrence. Viennent ensuite les risques liés à la géopolitique, à la politique et au protectionnisme, suivis des risques liés à l'ESG.

« Le paysage politique, avec des élections qui se déroulent dans des économies qui représentent près de 60 % du PIB mondial, contribue à l'augmentation des incertitudes et des risques géopolitiques. Dans ce contexte, les entreprises sont attentistes et se concentrent principalement sur les élections nationales à venir. Cela dit, l'exposition à la chaîne d'approvisionnement peut modifier la perception du risque : dans l'ensemble, les entreprises dont la chaîne d'approvisionnement est longue et dont plus de la moitié de la production est située à l'étranger sont les plus préoccupées par une intensification de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine », affirme Ano Kuhanathan.

Dans ce contexte, pour atténuer les perturbations de leurs chaînes d'approvisionnement, les entreprises améliorent principalement leur gestion des risques, augmentent la diligence raisonnable sur les fournisseurs en matière d’ESG et souscrivent une assurance pour leur chaîne d'approvisionnement. Mais si 53 % des personnes interrogées déclarent envisager de délocaliser certaines parties de leur chaîne d'approvisionnement en raison de l'augmentation des risques géopolitiques, elles sont moins nombreuses à prendre des mesures concrètes dans ce sens : la délocalisation des sites de production ne figure pas parmi les trois premières actions sur 10 proposées pour atténuer les perturbations de la chaîne d'approvisionnement (à l'exception des exportateurs espagnols et allemands).

« La diversification est devenue la principale stratégie pour renforcer la résilience des chaînes d'approvisionnement. Mais elle comporte ses propres risques, accroît la complexité et les goulots d'étranglement potentiels, et n'est pas une solution parfaite. Par exemple, 48 % des exportateurs américains qui ont des sites de production ou des fournisseurs en Chine envisageraient des pays d'Asie-Pacifique ou d'Amérique Latine pour diversifier leurs chaînes d'approvisionnement. Toutefois, ils resteraient exposés indirectement à la Chine, compte tenu de son rôle essentiel en tant que fournisseur mondial dans le secteur manufacturier », déclare Ana Boata, Directrice de la recherche économique chez Allianz Trade.

Il n'y a d’ailleurs pas de découplage total avec la Chine. En fait, plus d'un tiers des entreprises prévoient d'accroître leur présence en Chine, alors que seulement 11 % d'entre elles déclarent qu'elle diminuera. Pour celles qui ont indiqué qu'elles prévoyaient de trouver des alternatives à la Chine, la plus grande partie des répondants ont indiqué l'Asie-Pacifique comme leur région de prédilection (37 %), suivie de l'Europe occidentale (17 %). Au sein de la région Asie-Pacifique, l'ASEAN recueille plus d'un tiers des choix, tandis que le Japon, l'Inde, Taïwan, la Corée du Sud et l'Australie se partagent à peu près le reste équitablement.

Le développement durable gagne du terrain, mais la course est loin d’être terminée

Les chaînes d'approvisionnement sont au cœur du développement durable et les entreprises en prennent de plus en plus conscience. 72 % des répondants à notre enquête qui ont des responsabilités en matière de chaîne d'approvisionnement ont également des responsabilités en matière d'ESG. Pourtant, les progrès en matière d'objectifs climatiques sont encore limités. Seuls 27 % des répondants croient fermement que leur entreprise a mis en œuvre des actions ESG qui ont des conséquences significatives sur leurs activités, qu'il s'agisse de réorienter leurs choix logistiques vers des moyens plus durables (26 %), de développer des produits plus durables (25 %) ou d'améliorer la résilience climatique de leurs chaînes d'approvisionnement (23 %).

« 76 % des répondants déclarent que leur entreprise dispose d'un plan clair pour abandonner les énergies fossiles, quelle que soit la fluctuation des prix. Il s'agit d'un grand pas en avant : les entreprises se concentrent désormais sur des initiatives structurelles plutôt que sur des actions à court terme. Mais le chemin est encore long : près de deux entreprises sur trois prévoient de réduire leurs émissions de seulement 1 à 5 % au cours des 12 prochains mois, ce qui est loin d’être suffisant pour atteindre les objectifs net-zéro d'ici 2050 », conclut Aylin Somersan Coqui.