Guerre des prix dans le secteur aérien en Europe

01/11/2022
Les vols annulés pourraient devenir une habitude en Europe dans le contexte des efforts déployés par les compagnies aériennes pour protéger leurs marges face à l’envolée des prix du kérosène.

Dans la mesure où les salaires représentent 25% de leurs revenus, les transporteurs aériens en Europe sont peu encouragés à combler les pénuries de main à court terme. En 2020, ces sociétés ont dû prendre des mesures drastiques d'économies de coûts dans le contexte des confinements et des fermetures de frontières, y compris en ayant recours au chômage partiel. Cette mesure a coûté plus cher aux transporteurs européens, non seulement à cause d’effectifs supérieurs à la moyenne, mais également parce que le salaire minimum est relativement plus élevé en Europe. C’est ce qui explique pourquoi les compagnies aériennes européennes présentaient la plus faible marge d’EBITDA en 2020. Cela explique également pourquoi ces compagnies ont continué de réduire leurs effectifs de 8% en 2021 alors que les transporteurs aériens d’Amérique du Nord et du Sud renforçaient leurs équipes de 14% en moyenne par rapport à l’année précédente.

De nombreuses compagnies aériennes sont désormais contraintes d’annuler des vols en raison des pénuries de personnel, auxquelles s’ajoutent les mouvements de grève des actuels salariés réclamant des hausses de salaire et de meilleures conditions de travail. D’où une augmentation des prix.

Les prix des billets d'avion en Europe devraient décoller de +21% en 2022

Entre mai 2014, quand les prix du kérosène ont commencé à baisser, et mai 2020, les tarifs aériens ont chuté de 39%. Une tendance qui s’est néanmoins inversée en 2022, puisque depuis le début de l'année, le prix des billets d'avion a gagné 12%. Ce renchérissement devrait, selon nous, atteindre 21% sur un an d’ici fin 2022 et culminer seulement au premier trimestre 2023.

Malgré les augmentations de prix, la demande devrait rester soutenue, car les troisième et quatrième trimestres sont, habituellement, des périodes caractérisées par des déplacements plus nombreux. Les revenus des compagnies aériennes européennes devraient augmenter de 102% sur un an en moyenne en 2022, puis de 23% sur un an en 2023, retrouvant l’équilibre en renouant avec les niveaux de 2019 (en termes de valeur). Mais le renchérissement des billets d'avion ne suffira pas à empêcher une troisième année consécutive de pertes nettes.

La transition écologique en Europe créera une rupture encore plus importante à long terme

Dans un monde qui cherche à devenir plus écologique, la dynamique des compagnies aériennes européennes est vouée à s’essouffler à moyen terme, et ce en raison de la présence d’un facteur de rupture encore plus important : les transporteurs ferroviaires. Avant la pandémie, en termes de revenus, les compagnies de transport aérien et ferroviaire en Europe se partageaient le marché à parts égales. Les revenus des transporteurs aériens à bas coût provenaient jusqu’alors à 38% environ des vols long courrier, qui ont été les plus affectés par la pandémie, alors qu’à l’inverse, les sociétés ferroviaires n’ont presque aucune activité en dehors de l’Europe : par conséquent, leurs niveaux de revenus dépassent déjà ceux de 2019. Par ailleurs, la compétitivité des sociétés ferroviaires devrait s’accroître, car les gouvernements accélèrent les mesures d’adoption des lignes à haute vitesse.

La seule façon pour les sociétés aériennes d'éviter de perdre des parts de marché et de rivaliser avec le train, plus écologique, consiste à rendre elles aussi leur activité moins polluante : mais cette stratégie nécessite des investissements massifs. Même si des appareils zéro émission sont en développement, la conception et la construction d'un tout nouveau modèle est un processus qui peut durer de nombreuses années. Dans l’intervalle, les constructeurs aéronautiques devront moderniser les modèles existants, adapter les moteurs et réduire leur consommation de carburant. Cependant, les transporteurs aériens ne sont même pas en mesure d’investir en interne leurs propres fonds dans une nouvelle flotte à court terme, ce qui les contraint à rechercher des financements extérieurs. Cette démarche est réalisable, mais le coût du financement est à présent devenu beaucoup plus important qu’il y a quelques années, quand les transporteurs obtenaient de meilleures notes de solvabilité et que les taux d'intérêt étaient plus faibles. En outre, la grande majorité de ces sociétés présentent des niveaux d’endettement record par rapport au passé, dette qui devra être remboursée dans les prochaines années pour ramener les ratios de levier aux niveaux précédant la pandémie. Tant que les compagnies aériennes poursuivront ce désendettement et ne parviendront pas à dégager suffisamment de cash-flows opérationnels (OCF), elles n’auront pas les moyens de mener à bien de nouveaux projets d'investissement.

Un secteur aérien moins polluant signifie aussi l’abandon du kérosène classique

En 2020, la Commission européenne a adopté une série d’initiatives formant le « Pacte vert européen » en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d'atteindre la neutralité carbone dans l’UE en 2050. Puisque le transport génère environ 25% des émissions de gaz à effet de serre de l’UE, les compagnies aériennes opérant dans et depuis l’UE seront assujetties à un nouvel impôt sur le kérosène et devront s’alimenter davantage à base de carburants d’aviation durables (« Sustainable Aviation Fuel » ou SAF). Cette obligation entrera en vigueur à partir de 2025, où la consommation totale de carburant des avions devra intégrer un minimum de 2% de SAF, seuil qui sera progressivement relevé ensuite.

Actuellement, les SAF représentent à peine 1% de la consommation totale de kérosène dans l’UE, car sa production à basse échelle le rend 2,5 fois plus cher que le carburant conventionnel. L’obligation résultant du Pacte vert crée donc une menace importante pour les marges du secteur aérien, en particulier celles des compagnies à bas coût. D’après nos estimations, la facture de carburant augmentera de 30% pour un mélange de 20% de SAF et de 80% de kérosène d’ici 2035, et de 57% pour un mélange de 38% de SAF/62% de kérosène (obligatoire en 2045).